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Les rues de Venise sont un labyrinthe si compliqué, elles se croisent de tant de façons par des caprices si variés et si imprévus, que Pippo, après avoir laissé échapper la jeune fille, ne put parvenir à la rejoindre. Il resta fort embarrassé, car il avait commis deux fautes, la première en donnant sa bourse à Bianchina, et la seconde en ne retenant pas la négresse. Errant au hasard dans la ville, il se dirigea, presque sans le savoir, vers le palais de la signora Dorothée, sa marraine ; il se repentait de n’avoir pas fait à cette dame, quelque temps auparavant, sa visite projetée ; il avait coutume de la consulter sur tout ce qui l’intéressait, et rarement il avait eu recours à elle sans en retirer quelque avantage.

Il la trouva seule dans son jardin, et après lui avoir baisé la main : — Jugez, lui dit-il, ma bonne marraine, de la sottise que je viens de faire. On m’a envoyé, il n’y a pas longtemps, une bourse…

Mais à peine avait-il prononcé ces mots, que la signora Dorothée se mit à rire. — Eh bien ! lui dit-elle, est-ce que cette bourse n’est pas jolie ? Ne trouves-tu pas que les fleurs d’or font bon effet sur le velours rouge ?

— Comment ! s’écria le jeune homme ; se pourrait-il que vous fussiez instruite…

En ce moment, plusieurs sénateurs entraient dans le jardin ; la vénérable dame se leva pour les recevoir, et ne répondit pas aux questions que Pippo, dans son étonnement, ne cessait de lui adresser.