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semblait qu’elle se fût dit : Puisque c’est ainsi que va le monde, eh bien ! nous le prendrons comme il est. Elle avait deviné la vie, et pendant un an, vous vous en souvenez, il n’y eut pas de plaisir sans elle. On a cru et on a dit, je le sais, qu’un changement si extraordinaire n’avait pu être fait que par l’amour, et on a attribué à une passion nouvelle le nouvel éclat de la comtesse. On juge si vite, et on se trompe si bien ! Ce qui fit le charme d’Emmeline, ce fut son parti pris de n’attaquer personne, et d’être elle-même inattaquable. S’il y a quelqu’un à qui puisse s’appliquer ce mot charmant d’un de nos poëtes : « Je vis par curiosité[1] » c’est à madame de Marsan ; ce mot la résume tout entière.

M. de Marsan revint ; le peu de succès de son voyage ne l’avait pas mis de bonne humeur. Ses projets étaient renversés. La révolution de juillet vint par là-dessus, et il perdit ses épaulettes. Fidèle au parti qu’il servait, il ne sortit plus que pour faire de rares visites dans le faubourg Saint-Germain. Au milieu de ces tristes circonstances, Emmeline tomba malade ; sa santé délicate fut brisée par de longues souffrances, et elle pensa mourir. Un an après, on la reconnaissait à peine. Son oncle l’emmena en Italie, et ce ne fut qu’en 1832 qu’elle revint de Nice avec le digne homme.

Je vous ai dit qu’il s’était formé un cercle autour d’elle ; elle le retrouva au retour ; mais, de vive et alerte

  1. Victor Hugo, Marion Delorme. (Note de l’auteur.)