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rien de tout cela ne serait arrivé ; je le sentais, moi, et je n’osais pas le dire ; j’ai vu tout se préparer, mais je ne voulais pas te tourmenter.

« C’est par une triste nuit que je t’écris, plus triste, sois-en sûr, que celle où tu es venu sonner et où tu m’as trouvée sortie. Je ne t’avais jamais cru jaloux ; quand j’ai su que tu étais en colère, cela m’a fait peine et plaisir. Pourquoi ne m’as-tu pas attendue d’autorité ? Tu aurais vu la mine que j’avais en rentrant de ma bonne fortune ; mais c’est égal, tu m’aimais plus que tu ne le disais.

« Je voudrais finir, et je ne peux pas. Je m’attache à ce papier comme à un reste de vie ; je serre mes lignes ; je voudrais rassembler tout ce que j’ai de force et te l’envoyer. Non, tu n’as pas connu mon cœur. Tu m’as aimée parce que tu es bon ; c’était par pitié que tu venais, et aussi un peu pour ton plaisir. Si j’avais été riche, tu ne m’aurais pas quittée : voilà ce que je me dis ; c’est la seule chose qui me donne du courage. Adieu.

« Puisse mon père ne pas se repentir du mal dont il a été cause ! Maintenant, je le sens, que ne donnerais-je pas pour savoir quelque chose, pour avoir un gagne-pain dans les mains ! Il est trop tard. Si, quand on est enfant, on pouvait voir sa vie dans un miroir, je ne finirais pas ainsi ; tu m’aimerais encore ; mais peut-être que non, puisque tu vas te marier.

« Comment as-tu pu m’écrire une lettre aussi dure ?