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III


Emmeline ne parla de son aventure à personne. Elle n’y vit qu’une leçon pour elle, et un sujet de réflexion. Son humeur n’en fut pas altérée ; seulement, quand madame d’Ennery, selon sa coutume, l’embrassait le soir avant de se retirer, un léger frisson faisait pâlir la comtesse.

Bien loin de se plaindre de sa tante, comme elle l’avait d’abord résolu, elle ne chercha qu’à se rapprocher d’elle et à la faire parler davantage. La pensée du danger étant écartée par le départ de l’adorateur, il n’était resté dans la tête de la comtesse qu’une curiosité insatiable. La marquise avait eu, dans la force du terme, ce qu’on appelle une jeunesse orageuse ; en avouant le tiers de la vérité, elle était déjà très divertissante, et avec sa nièce, après dîner, elle en avouait quelquefois la moitié. Il est vrai que tous les matins elle se réveillait avec l’intention de ne plus rien dire, et de reprendre tout ce qu’elle avait dit ; mais ses anecdotes ressemblaient, par malheur, aux moutons de Panurge : à mesure que la journée avançait, les confidences se multipliaient ; en sorte que, quand minuit