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Mademoiselle Darcy lui fit mille questions, mais il n’y voulait plus répondre. Tant qu’il n’avait pas vu clair dans son propre cœur, il s’était prêté par faiblesse à la curiosité de sa jeune confidente ; mais la souffrance était maintenant trop vraie pour qu’il consentît à en faire un jeu, et, en s’apercevant du danger de sa passion, il avait compris combien l’intérêt qu’y prenait mademoiselle Darcy était frivole. Il fit donc ce que font tous les hommes en pareil cas. Pour aider lui-même à sa guérison, il prétendit qu’il était guéri ; qu’une amourette avait pu l’étourdir, mais qu’il était d’un âge à penser à des choses plus sérieuses. Mademoiselle Darcy, comme on peut croire, n’approuva pas de pareils sentiments ; elle ne voyait de sérieux en ce monde que l’amour ; le reste lui semblait méprisable. Tels étaient du moins ses discours. Frédéric la laissa parler, et convint de bonne grâce avec elle qu’il ne saurait jamais aimer. Son cœur lui disait assez le contraire, et, en se donnant pour inconstant, il aurait voulu ne pas mentir.

Moins il se sentait de courage, plus il se hâtait de partir. Il ne pouvait cependant se défendre d’une pensée qui l’obsédait. Quel était le nouvel amant de Bernerette ? Que faisait-elle ? Devait-il tenter de la revoir encore une fois ? Gérard n’était pas de cet avis ; il avait pour principe de ne rien faire à demi. Du moment que Frédéric était décidé à s’éloigner, il lui conseillait de tout oublier. — Que veux-tu savoir ? lui disait-il ; ou Bernerette ne te dira rien, ou elle altérera la vérité.