Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/218

Cette page a été validée par deux contributeurs.

aveugle, à des projets de vengeance. Le dégoût de la vie s’emparait de lui. Il se souvenait de la triste circonstance qui avait accompagné son amour naissant ; ce funeste exemple était devant ses yeux.

— Je commence à le comprendre, disait-il à Gérard ; je ne m’étonne plus qu’on désire la mort en pareil cas. Ce n’est pas pour une femme qu’on se tue, c’est parce qu’il est inutile et impossible de vivre quand on souffre à ce point, quelle qu’en soit la cause.

Gérard connaissait trop bien son ami pour douter de son désespoir, et il l’aimait trop pour l’y abandonner. Il trouva moyen, par des protections puissantes dont il n’avait jamais usé pour lui-même, de faire attacher Frédéric à une ambassade. Il se présenta un matin chez lui avec un ordre de départ du ministre des affaires étrangères.

— Les voyages, lui dit-il, sont le meilleur, le seul remède contre le chagrin. Pour te décider à quitter Paris, je me suis fait solliciteur, et, grâce à Dieu, j’ai réussi. Si tu as du courage, tu partiras sur-le-champ pour Berne, où le ministre t’envoie.

Frédéric n’hésita pas. Il remercia son ami, et s’occupa aussitôt de mettre ses affaires en ordre. Il écrivit à son père pour lui apprendre ses nouveaux projets, et lui demanda son autorisation. La réponse fut favorable. Au bout de quinze jours, les dettes étaient payées ; rien ne s’opposait plus au départ de Frédéric, et il alla chercher son passe-port.