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VIII


À quoi sert de jouer l’indifférent quand on aime, sinon à souffrir cruellement le jour où la vérité l’emporte ? Frédéric s’était juré tant de fois qu’il ne serait pas jaloux de Bernerette, il l’avait si souvent répété devant ses amis, qu’il avait fini par le croire lui-même. Il regagna son logis à pied, en sifflant une contredanse.

— Elle a un autre amant, se dit-il ; tant mieux pour elle ; c’est ce que je souhaitais. Désormais me voilà tranquille.

Mais à peine fut-il arrivé chez lui qu’il sentit une faiblesse mortelle. Il s’assit, posa son front dans ses mains comme pour y comprimer sa pensée. Après une lutte inutile, la nature fut la plus forte ; il se leva le visage baigné de larmes, et il trouva quelque soulagement à s’avouer ce qu’il éprouvait.

Une langueur extrême succéda à cette violente secousse. La solitude lui devint intolérable, et pendant plusieurs jours il passa son temps en visites, en courses sans but. Tantôt il essayait de ressaisir l’insouciance qu’il avait affectée ; tantôt il s’abandonnait à une colère