l’homme ; l’esprit s’engourdit, le corps reste immobile, et la pensée flotte au hasard. N’avoir plus de raison de vivre est un état pire que la mort. Quand la prudence, l’intérêt et la raison s’opposent à une passion, il est facile au premier venu de blâmer justement celui que cette passion entraîne. Les arguments abondent sur ces sortes de sujets, et, bon gré, mal gré, il faut qu’on s’y rende. Mais quand le sacrifice est fait, quand la raison et la prudence sont satisfaites, quel philosophe ou quel sophiste n’est au bout de ses arguments ? et que répondre à l’homme qui vous dit : — J’ai suivi vos conseil, mais j’ai tout perdu : j’ai agi sagement, mais je souffre ?
Telle était la situation de Frédéric. Bernerette lui écrivit deux fois. Dans sa première lettre, elle disait que la vie lui était devenue insupportable, elle le suppliait de venir la voir de temps en temps, et de ne pas l’abandonner entièrement. Il se défiait trop de lui-même pour se rendre à cette demande. La seconde lettre vint quelque temps après. « J’ai revu mes parents, disait Bernerette, et ils commencent à me traiter plus doucement. Un de mes oncles est mort, et nous a laissé quelque argent. Je me fais faire pour mon début des costumes qui vous plairont, et que je voudrais vous montrer. Entrez donc un instant chez moi, si vous passez devant ma porte. » Frédéric, cette fois, se laissa persuader. Il fit une visite à son amie ; mais rien de ce qu’elle lui avait annoncé n’était vrai. Elle n’avait voulu