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par sa conduite. Tel fut, en somme, à peu près le récit que la douleur arracha à Bernerette, récit dont Frédéric ne pouvait mettre la vérité en doute, d’après la manière dont elle lui était révélée.

Quand il n’aurait pas eu d’amour pour la pauvre fille, il se serait senti touché de pitié. Il s’informa de la demeure du frère ; quelques pièces d’or et un langage ferme accommodèrent les choses. La portière eut ordre de répondre que Bernerette avait changé de quartier, si le jeune homme se présentait de nouveau. Mais c’était faire bien peu que d’assurer ainsi la tranquillité d’une femme qui manquait de tout. Au lieu de payer ses propres dettes, Frédéric paya celles de Bernerette ; elle essaya en vain de l’en dissuader ; il ne voulut réfléchir ni à l’imprudence qu’il commettait, ni aux suites qu’elle pourrait avoir ; il se laissa entraîner par son cœur, et se jura, quoi qu’il pût arriver, de ne jamais se repentir de ce qu’il venait de faire.

Il fut pourtant bientôt forcé de s’en repentir ; car, pour satisfaire aux engagements qu’il avait pris, il lui fallut en contracter de nouveaux, plus difficiles et plus onéreux que les premiers. Il n’avait pas reçu de la nature ce caractère insouciant qui, en pareille circonstance, ôte du moins la crainte du mal à venir ; tout au contraire, des qualités qu’il avait perdues, la prévoyance lui restait seule ; il serait devenu sombre et taciturne, si l’on pouvait l’être à son âge. Ses amis remarquèrent ce changement ; il n’en voulut pas dire