Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/197

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pièce, jusqu’à ce que l’assiette soit vide, et alors nous recommencerons.

La plaisante idée de Bernerette ramena la gaieté. On suivit ses instructions ; deux ou trois autres mouches arrivèrent. Chacun, dans le plus religieux silence, les suivait des yeux, tandis qu’elles tournoyaient en l’air au-dessus de la table. Si l’une d’elles se posait sur le sucre, c’était un rire général. Une heure s’écoula ainsi, et la pluie avait cessé.

— Je ne puis souffrir une femme maussade, disait Gérard à son ami pendant le retour ; il faut avouer que la gaieté est un grand bien ; c’est peut-être le premier de tous, puisque avec lui on se passe des autres. Ta grisette a trouvé moyen de changer en plaisir une heure d’ennui, et cela seul me donne meilleure opinion d’elle que si elle avait fait un poème épique. Vos amours dureront-ils longtemps ?

— Je ne sais, répondit Frédéric, affectant la même légèreté que son compagnon ; si elle te plaît, tu peux lui faire la cour.

— Tu n’es pas franc, car tu l’aimes et elle t’aime.

— Oui, par caprice, comme autrefois.

— Prends garde à ces caprices-là.

— Suivez-nous donc, messieurs, cria Bernerette, qui galopait en avant avec Cécile. Elles s’arrêtèrent sur un plateau, et la cavalcade fit une halte. La lune se levait ; elle se dégageait lentement des massifs obscurs, et, à mesure qu’elle montait, les nuages semblaient fuir de-