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demi-sourires en parlant des autres, ses hélas ! en parlant d’elle-même, tout cela rendait Emmeline tantôt sérieuse et stupéfaite, tantôt folle de plaisir, comme la lecture d’un conte de fées.

Quand la vieille dame vit l’allée des Soupirs, il va sans dire qu’elle l’aima beaucoup ; la nièce y vint par complaisance. Ce fut là qu’à travers un déluge de sornettes Emmeline entrevit le fond des choses, ce qui veut dire, en bon français, la façon de vivre des Parisiens.

Elles se promenaient seules toutes deux un matin, et gagnaient, en causant, le bois de la Rochette ; madame d’Ennery essayait vainement de faire raconter à la comtesse l’histoire de ses amours ; elle la questionnait de cent manières sur ce qui s’était passé à Paris, pendant l’année mystérieuse où M. de Marsan faisait la cour à mademoiselle Duval ; elle lui demandait en riant s’il y avait eu quelques rendez-vous, un baiser pris avant le contrat, enfin comment la passion était venue. Emmeline, sur ce sujet, a été muette toute sa vie ; je me trompe peut-être, mais je crois que la raison de ce silence, c’est qu’elle ne peut parler de rien sans en plaisanter, et qu’elle ne veut pas plaisanter là-dessus. Bref, la douairière, voyant sa peine perdue, changea de thèse, et demanda si, après quatre ans de mariage, cet amour étrange vivait encore. — Comme il vivait au premier jour, répondit Emmeline, et comme il vivra à mon dernier jour. Madame d’Ennery,