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mençât par gagner, et sur son gain il eut de quoi perdre. Il était habillé par un vieux tailleur de Besançon, qui, depuis nombre d’années, servait sa famille ; il lui écrivit qu’il ne voulait plus de ses habits, et il prit un tailleur à la mode. Il n’eut bientôt plus le temps d’aller au Palais : comment l’aurait-il eu avec des jeunes gens qui, dans leur désœuvrement affairé, n’ont pas le loisir de lire un journal. Il faisait donc son stage sur le boulevard ; il dînait au café, allait au bois, avait de beaux habits et de l’or dans ses poches ; il ne lui manquait qu’un cheval et une maîtresse pour être un dandy accompli.

Ce n’est pas peu dire, il est vrai ; au temps passé, un homme n’était homme, et ne vivait réellement, qu’à la condition de posséder trois choses, un cheval, une femme et une épée. Notre siècle prosaïque et pusillanime a d’abord, de ces trois amis, retranché le plus noble, le plus sûr, le plus inséparable de l’homme de cœur. Personne n’a plus l’épée au côté ; mais, hélas ! peu de gens ont un cheval, et il y en a qui se vantent de vivre sans maîtresse.

Un jour que Frédéric avait des dettes urgentes à payer, il s’était vu forcé de faire quelques démarches auprès de ses compagnons de plaisir, qui n’avaient pu l’obliger. Il obtint enfin, sur son billet, trois mille francs d’un banquier qui connaissait son père. Lorsqu’il eut cette somme dans sa poche, se sentant joyeux et tranquille après beaucoup d’agitation, il fit un tour de