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nant c’est de vous seule que dépend notre avenir, et prononcez.

— Je ne suis pas surprise de ce que vous me dites, répondit mademoiselle Darcy ; c’est là le langage de tous les hommes. Pour eux, le moment présent est tout, et ils sacrifieraient leur vie entière à la tentation de faire un compliment. Les femmes ont aussi des tentations de ce genre ; mais la différence est qu’elles y résistent. J’ai eu tort de me fier à vous, et il est juste que j’en porte la peine ; mais, quand mon refus devrait vous blesser et m’attirer votre ressentiment, vous apprendrez de moi une chose dont plus tard vous sentirez la vérité : c’est qu’on n’aime qu’une fois dans la vie, quand on est capable d’aimer. Les inconstants n’aiment pas ; ils jouent avec le cœur. Je sais que, pour le mariage, on dit que l’amitié suffit ; c’est possible dans certains cas ; mais comment serait-ce possible pour nous, puisque vous savez que j’ai de l’amour pour quelqu’un ? En supposant que vous abusiez aujourd’hui de ma confiance pour me déterminer à vous épouser, que ferez-vous de ce secret quand je serai votre femme ? N’en sera-ce pas assez pour nous rendre à tous deux le bonheur impossible ? Je veux croire que vos amours parisiennes ne sont qu’une folie de jeune homme. Pensez-vous qu’elles m’aient donné bonne opinion de votre cœur, et qu’il me soit indifférent de vous connaître d’un caractère aussi frivole ? Croyez-moi, Frédéric, ajouta-t-elle en prenant la main du jeune homme,