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elle-même. Frédéric l’avait vue sortir ; il la suivit, s’approcha, et, après quelques mots sur l’air de tristesse qu’il remarquait en elle :

— Eh bien ! mademoiselle, lui dit-il, pensez-vous que le jour approche où il faudra vous déclarer d’une matière positive ? Avez-vous trouvé quelque moyen d’éluder cette nécessité ? Je viens vous consulter là-dessus. Mon père me questionne sans cesse, et je ne sais plus que lui répondre. Que puis-je objecter contre cette alliance, et comment dire que je ne veux pas de vous ? Si je feins de vous trouver trop peu de beauté, de sagesse ou d’esprit, personne ne voudra me croire. Il faut donc que je dise que j’en aime une autre, et plus nous tarderons, plus je mentirai en le disant. Comment pourrait-il en être autrement ? Puis-je impunément vous voir sans cesse ? L’image d’une personne absente peut-elle, devant vous, ne pas s’effacer ! Apprenez-moi donc ce qu’il me faut répondre, et ce que vous pensez vous-même. Vos intentions n’ont-elles pas changé ? Laisserez-vous votre jeunesse se consumer dans la solitude ? Resterez-vous fidèle à un souvenir, et ce souvenir vous suffira-t-il ? Si j’en juge d’après moi, j’avoue que je ne puis le croire ; car je sens que c’est se tromper que de résister à son propre cœur et à la destinée commune, qui veut qu’on oublie et qu’on aime. Je tiendrai ma parole, si vous l’ordonnez ; mais je ne puis m’empêcher de vous dire que cette obéissance me sera cruelle. Sachez donc que mainte-