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dit-elle, c’est bien cruel. Je comprends ce qui s’est passé en vous, et je vous en estime davantage. Mais vous n’êtes pas coupable ; laissez faire le temps. Vos parents sont aussi pressés sans doute que les miens de conclure le mariage qu’ils ont en tête ; fiez-vous à moi, je vous épargnerai le plus d’ennuis possible, et, en tout cas, la peine d’un refus.

Ils se séparèrent sur ces mots. Frédéric soupçonna que mademoiselle Darcy avait de son côté une confidence à lui faire. Il ne se trompait pas. Elle aimait un jeune officier sans fortune qui avait demandé sa main et qui avait été repoussé par la famille. Elle fit preuve de franchise à son tour, et Frédéric lui jura qu’il ne l’en ferait pas repentir. Il s’établit entre eux une convention tacite de résister à leurs parents, tout en paraissant se soumettre à leur volonté. On les voyait sans cesse l’un auprès de l’autre, dansant ensemble au bal, causant au salon, marchant à l’écart à la promenade ; mais, après s’être comportés toute la journée comme deux amants, ils se serraient la main en se quittant et se répétaient chaque soir qu’ils ne deviendraient jamais époux.

De pareilles situations sont très dangereuses. Elles ont un charme qui entraîne, et le cœur s’y livre avec confiance ; mais l’amour est une divinité jalouse qui s’irrite dès qu’on cesse de la craindre, et on aime quelquefois seulement parce qu’on a promis de ne pas aimer. Au bout de quelque temps, Frédéric avait recou-