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l’on voulut, répondit de son mieux à ceux qui l’interrogeaient, et s’efforça même de faire la cour à sa prétendue ; mais c’était sans plaisir et presque malgré lui qu’il s’acquittait de ces devoirs : non que Bernerette lui fût assez chère pour le faire renoncer à un mariage avantageux ; mais les dernières circonstances avaient agi sur lui trop fortement pour qu’il pût s’en remettre si vite. Dans un cœur troublé par le souvenir, il n’y a pas de place pour l’espérance ; ces deux sentiments, dans leur extrême vivacité, s’excluent l’un l’autre ; ce n’est qu’en s’affaiblissant qu’ils se concilient, s’adoucissent et finissent par s’appeler mutuellement.

La jeune personne dont il s’agissait avait un caractère très mélancolique. Elle n’éprouvait pour Frédéric ni sympathie ni répugnance ; c’était, comme lui, par obéissance qu’elle se prêtait aux projets de ses parents. Grâce à la facilité qu’on leur laissait de causer ensemble, ils s’aperçurent tous deux de la vérité. Ils sentirent que l’amour ne leur venait pas, et l’amitié leur vint sans efforts. Un jour que les deux familles réunies avaient fait une partie de campagne, Frédéric, au retour, donna le bras à sa future. Elle lui demanda s’il n’avait pas laissé à Paris quelque affection, et il lui conta son histoire. Elle commença par la trouver plaisante et par la traiter de bagatelle ; Frédéric n’en parlait pas non plus autrement que comme d’une folie sans importance ; mais la fin du récit parut sérieuse à mademoiselle Darcy (c’était le nom de la jeune personne). — Grand Dieu !