Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/156

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toile, un tablier, un mouchoir de coton, et un ample bonnet sous lequel elle cacha, autant que possible, son visage. Ainsi travestie, un panier sous le bras, elle se rendit au marché des Innocents. C’était l’heure où madame Delaunay avait coutume d’y aller, et la marquise ne chercha pas longtemps ; elle savait que la veuve lui ressemblait, et elle aperçut bientôt devant l’étalage d’une fruitière une jeune femme à peu près de sa taille, aux yeux noirs et à la démarche modeste, marchandant des cerises. Elle s’approcha.

— N’est-ce pas à madame Delaunay, demanda-t-elle, que j’ai l’honneur de parler ?

— Oui, mademoiselle ; que me voulez-vous ?

La marquise ne répondit pas ; sa fantaisie était satisfaite et peu lui importait qu’on s’en étonnât. Elle jeta sur sa rivale un regard rapide et curieux, la toisa des pieds à la tête, puis se retourna et disparut.

Valentin ne venait plus chez madame de Parnes ; il reçut d’elle une invitation de bal imprimée, et crut devoir s’y rendre par convenance. Quand il entra dans l’hôtel, il fut surpris de ne voir qu’une fenêtre éclairée ; la marquise était seule et l’attendait. — Pardonnez-moi, lui dit-elle, la petite ruse que j’ai employée pour vous faire venir ; j’ai pensé que vous ne répondriez peut-être pas si je vous écrivais pour vous demander un quart d’heure d’entretien, et j’ai besoin de vous dire un mot, en vous suppliant d’y répondre sincèrement.