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les réponses du garçon qu’il interrogeait, un mystère qu’il ne soupçonnait pas et que bien d’autres que lui ignorent : c’est qu’il y a à Paris un grand nombre de femmes, de demoiselles pauvres, qui, tout en ayant dans le monde un rang convenable et quelquefois distingué, travaillent en secret pour vivre. Les marchands emploient ainsi, et à bon marché, des ouvrières habiles ; mainte famille, vivant sobrement, chez qui pourtant on va prendre le thé, se soutient par les filles de la maison ; on les voit sans cesse tenant l’aiguille, mais elles ne sont pas assez riches pour porter ce qu’elles font ; quand elles ont brodé du tulle, elles le vendent pour acheter de la percale : celle-là, fille de nobles aïeux, fière de son titre et de sa naissance, marque des mouchoirs ; celle-ci, que vous admirez au bal, si enjouée, si coquette et si légère, fait des fleurs artificielles et paye de son travail le pain de sa mère ; telle autre, un peu plus riche, cherche à gagner de quoi ajouter à sa toilette ; ces chapeaux tout faits, ces sachets brodés qu’on voit aux étalages des boutiques, et que le passant marchande par désœuvrement, sont l’œuvre secrète, quelquefois pieuse, d’une main inconnue. Peu d’hommes consentiraient à ce métier, ils resteraient pauvres par orgueil en pareil cas ; peu de femmes s’y refusent, quand elles en ont besoin, et de celles qui le font, aucune n’en rougit. Il arrive qu’une jeune femme rencontre une amie d’enfance qui n’est pas riche et qui a besoin de quelque argent ; faute de pouvoir lui en