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prenait un livre, et s’en allait dîner seul à la campagne. Tantôt il maudissait le hasard qui s’opposait à une entrevue qu’il demandait. Madame Delaunay était, au fond du cœur, celle qu’il préférait ; mais il n’en savait rien lui-même, et cette singulière incertitude aurait peut-être duré longtemps si une circonstance, légère en apparence, ne l’eût éclairé tout à coup sur ses véritables sentiments.

On était au mois de juin, et les soirées au jardin étaient délicieuses. La marquise, en s’asseyant sur un banc de bois près de la cascade, s’avisa un jour de le trouver dur.

— Je vous ferai cadeau d’un coussin, dit-elle à Valentin.

Le lendemain matin, en effet, arriva une causeuse élégante, accompagnée d’un beau coussin en tapisserie, de la part de madame de Parnes.

Vous vous souvenez peut-être que madame Delaunay faisait de la tapisserie. Depuis un mois, Valentin l’avait vue travailler constamment à un ouvrage de ce genre dont il avait admiré le dessin, non que ce dessin eût rien de remarquable : c’était, je crois, une couronne de fleurs, comme toutes les tapisseries du monde ; mais les couleurs en étaient charmantes. Que peut faire, d’ailleurs, une main aimée que nous ne le trouvions un chef-d’œuvre ? Cent fois, le soir, près de la lampe, le jeune homme avait suivi des yeux, sur le canevas, les doigts habiles de la veuve ; cent fois, au milieu d’un en-