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vous donc que je réponde ? Faut-il la repousser, la désabuser et lui laisser le découragement et le chagrin ? Quand madame de Parnes est au piano, et qu’assis derrière elle, je la vois se livrer à la noble inspiration de son cœur ; quand son esprit élève le mien, m’exalte et me fait mieux goûter par la sympathie les plus exquises jouissances de l’intelligence, faut-il que je lui dise qu’elle se trompe et qu’un si doux plaisir est coupable ? Faut-il que je change en haine ou en mépris les souvenirs de ces heures délicieuses ? Non, mon ami, je mentirais en disant à l’une des deux que je ne l’aime plus ou que je ne l’ai point aimée ; j’aurais plutôt le courage de les perdre ensemble que celui de choisir entre elles.

Vous voyez, madame, que notre étourdi faisait comme font tous les hommes : ne pouvant se corriger de sa folie, il tentait de lui donner l’apparence de la raison. Cependant il y avait de certains jours où son cœur se refusait, malgré lui, au double rôle qu’il soutenait. Il tâchait de troubler le moins possible le repos de madame Delaunay ; mais la fierté de la marquise eut plus d’un caprice à supporter. — Cette femme n’a que de l’esprit et de l’orgueil, me disait-il d’elle quelquefois. Il arrivait aussi qu’en quittant le salon de madame de Parnes, la naïveté de la veuve le faisait sourire, et qu’il trouvait qu’à son tour elle avait trop peu d’orgueil et d’esprit. Il se plaignait de manquer de liberté. Tantôt une boutade lui faisait renoncer à un rendez-vous ; il