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La Fontaine : c’étaient Valentin et Madame Delaunay qui venaient de marcher dans la rosée. Étiez-vous ce soir d’un grand bal à l’ambassade d’Autriche ? Avez-vous vu au milieu d’un cercle brillant de jeunes femmes une beauté plus fière, plus courtisée, plus dédaigneuse que toutes les autres ? Cette tête charmante, coiffée d’un turban doré, qui se balance avec grâce comme une rose bercée par le zéphyr, c’est la jeune marquise que la foule admire, que le triomphe embellit, et qui pourtant semble rêver. Non loin de là, appuyé contre une colonne, Valentin la regarde : personne ne connaît leur secret, personne n’interprète ce coup d’œil, et ne devine la joie de l’amant. L’éclat des lustres, le bruit de la musique, les murmures de la foule, le parfum des fleurs, tout le pénètre, le transporte, et l’image radieuse de sa belle maîtresse enivre ses yeux éblouis. Il doute presque lui-même de son bonheur, et qu’un si rare trésor lui appartienne ; il entend les hommes dire autour de lui : Quel éclat ! quel sourire ! quelle femme ! et il se répète tout bas ces paroles. L’heure du souper arrive ; un jeune officier rougit de plaisir en présentant sa main à la marquise ; on l’entoure, on la suit, chacun veut s’en approcher et brigue la faveur d’un mot tombé de ses lèvres ; c’est alors qu’elle passe près de Valentin et lui dit à l’oreille : À demain. Que de jouissance dans un mot pareil ! Demain cependant, à la nuit tombante, le jeune homme monte à tâtons un escalier sans lumière ; il arrive à grand’peine au troisième étage, et