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comme un costume de chasse, et, sans se mirer les trois quarts du temps, partait joyeuse.

Vous sentez qu’avec sa fortune (car du vivant de sa mère sa dot était considérable) on lui proposait tous les jours des partis. Elle n’en refusait aucun sans examen ; mais ces examens successifs n’étaient pour elle que l’occasion d’une galerie de caricatures. Elle toisait les gens de la tête aux pieds avec plus d’assurance qu’on n’en a ordinairement à son âge ; puis, le soir, enfermée avec ses bonnes amies, elle leur donnait une représentation de l’entrevue du matin ; son talent naturel pour l’imitation rendait cette scène d’un comique achevé. Celui-là avait l’air embarrassé, celui-ci était fat ; l’un parlait du nez, l’autre saluait de travers. Tenant à la main le chapeau de son oncle, elle entrait, s’asseyait, causait de la pluie et du beau temps comme à une première visite, en venait peu à peu à effleurer la question matrimoniale, et, quittant brusquement son rôle, éclatait de rire ; réponse décisive qu’on pouvait porter à ses prétendants.

Un jour arriva cependant où elle se trouva devant son miroir, arrangeant ses fleurs avec un peu plus d’art que de coutume. Elle était ce jour-là d’un grand dîner, et sa femme de chambre lui avait mis une robe neuve qui ne lui parut pas de bon goût. Un vieil air d’opéra avec lequel on l’avait bercée lui revint en tête :

Aux amants lorsqu’on cherche à plaire,
On est bien près de s’enflammer.