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prit, et, au milieu de tout cela, il était sur le point de s’écrier malgré lui : Mais vous m’aimez !

Pendant toutes ces hésitations, on dansait un galop dans le salon : c’était la mode en 1825 ; quelques groupes s’étaient lancés et faisaient le tour de l’appartement ; la veuve se leva ; elle attendait toujours la réponse du jeune homme. Une singulière tentation s’empara de lui, en voyant passer la joyeuse promenade. — Eh bien ! oui, dit-il, je vous le jure, vous me voyez pour la dernière fois. En parlant ainsi, il entoura de son bras la taille de madame Delaunay. Ses yeux semblaient dire : Cette fois encore soyons amis, imitons-les. Elle se laissa entraîner en silence, et bientôt, comme deux oiseaux, ils s’envolèrent au bruit de la musique.

Il était tard, et le salon était presque vide ; les tables de jeu étaient encore garnies ; mais il faut savoir que la salle à manger du notaire faisait un retour sur l’appartement, et qu’elle se trouvait alors complètement déserte. Les galopeurs n’allaient pas plus loin ; ils tournaient autour de la table, puis revenaient au salon. Il arriva que, lorsque Valentin et madame Delaunay passèrent à leur tour dans cette salle à manger, aucun danseur ne les suivait ; ils se trouvèrent donc tout à coup seuls au milieu du bal. Un regard rapide, jeté en arrière, convainquit Valentin qu’aucune glace, aucune porte ne pouvait le trahir ; il serra la jeune veuve sur son cœur, et, sans lui dire une parole, posa ses lèvres sur son épaule nue.