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peine ; mais il la trouva trop belle et trop émue, et il aima mieux la laisser parler.

Ce ne fut pas sans trouble qu’elle s’y décida, et qu’elle en vint à tout expliquer. La fierté féminine, en cette circonstance, avait une rude atteinte à subir. Il fallait avouer qu’on était sensible, et cependant ne pas le laisser voir ; il fallait dire qu’on avait tout compris, et cependant paraître ne rien comprendre. Il fallait dire enfin qu’on avait peur, dernier mot que prononce une femme ; et la cause de cette crainte était si légère ! Dès ses premières paroles, madame Delaunay sentit qu’il n’y avait pour elle qu’un moyen de n’être ni faible, ni prude, ni coquette, ni ridicule, c’était d’être vraie. Elle parla donc ; et tout son discours pouvait se réduire à cette phrase : Éloignez-vous ; j’ai peur de vous aimer.

Quand elle se tut, Valentin la regarda à la fois avec étonnement, avec chagrin et avec un inexprimable plaisir. Je ne sais quel orgueil le saisissait ; il y a toujours de la joie à se sentir battre le cœur. Il ouvrait les lèvres pour répondre, et cent réponses lui venaient en même temps ; il s’enivrait de son émotion et de la présence d’une femme qui osait lui parler ainsi. Il voulait lui dire qu’il l’aimait, il voulait lui promettre de lui obéir, il voulait lui jurer de ne la jamais quitter, il voulait la remercier de son bonheur, il voulait lui parler de sa peine ; enfin mille idées contradictoires, mille tourments et mille délices lui traversaient l’es-