Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Nouvelles et Contes I.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.

crût en péril ; mais qu’allait-il arriver demain, si Valentin lui parlait d’amour, et si, après-demain, elle lui fermait sa maison, et si, le jour suivant, elle s’en repentait ? L’ouvrage irait-il pendant ce temps-là ? Y aurait-il le soir le nombre de points voulu ? (Je vous expliquerai ceci plus tard.) Mais qu’allait-on dire, en tout cas ? Une femme qui vit presque seule est bien plus exposée qu’une autre. Ne doit-elle pas être plus sévère ? Madame Delaunay se disait qu’au risque d’être ridicule, il fallait éloigner Valentin avant que son repos ne fût troublé. Elle voulait donc parler, mais elle était femme, et il était là ; le droit de présence est le plus fort de tous, et le plus difficile à combattre.

Dans un moment où tous les motifs que je viens d’indiquer brièvement se représentaient à elle avec force, elle se leva. Valentin était en face d’elle, et leurs regards se rencontrèrent ; depuis une heure, le jeune homme réfléchissait, seul, à l’écart, et lisait aussi de son côté dans les grands yeux de madame Delaunay chaque pensée qui l’agitait. À sa première impatience avait succédé la tristesse. Il se demandait si en effet c’était là une prude ou une coquette ; et plus il cherchait dans ses souvenirs, plus il examinait le visage timide et pensif qu’il avait devant lui, plus il se sentait saisi d’un certain respect. Il se disait que son étourderie était peut-être plus grave qu’il ne l’avait cru. Quand madame Delaunay vint à lui, il savait ce qu’elle allait lui demander. Il voulait lui en éviter la