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dit-elle, va peut-être vous sembler très ridicule, et je sens moi-même que vous aurez raison de le trouver ainsi. Vous m’avez fait une visite ce matin, et vous m’avez… pris la main, ajouta-t-elle timidement. Je ne suis ni assez enfant ni assez sotte pour ignorer que si peu de chose ne fâche personne et ne signifie rien. Dans le grand monde, dans celui où vous vivez, ce n’est qu’une simple politesse ; cependant nous nous trouvions seuls, et vous n’arriviez ni ne partiez ; vous conviendrez, ou, pour mieux dire, vous comprendrez peut-être par amitié pour moi…

Elle s’arrêta, moitié par crainte et moitié par ennui de l’effort qu’elle faisait. Valentin, à qui ce préambule causait une frayeur mortelle, attendait qu’elle continuât, lorsqu’une idée subite lui traversa l’esprit. Il ne réfléchit pas à ce qu’il faisait, et, cédant à un premier mouvement, il s’écria :

— Votre mère l’a vu ?

— Non, répondit la veuve avec dignité ; non, monsieur, ma mère n’a rien vu. Comme elle achevait ces mots, la contredanse commença, son danseur vint la chercher et elle disparut dans la foule.

Valentin attendit impatiemment, comme vous pouvez croire, que la contredanse fût finie. Ce moment désiré arriva enfin ; mais madame Delaunay retourna à sa place, et, quoi qu’il fît pour l’approcher, il ne put lui parler. Elle ne semblait pas hésiter sur ce qui lui restait à dire, mais penser comment elle le dirait.