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fiance presque naïve qui accompagne souvent la loyauté, lui faisaient croire, comme à bien d’autres, qu’il s’agissait de supprimer les abus, non pas de renverser les choses. Il n’imaginait point que, pour élaguer les branches mortes d’un arbre séculaire, on dût porter la hache dans ses racines. Il avait vu la noblesse et le clergé renoncer à leurs privilèges, et il croyait à l’égalité ; il avait assisté aux fêtes du champ de Mars, et il croyait à la fraternité ; enfin, il avait vu tomber la Bastille, et il croyait à la liberté. Il avait alors quatorze ans. Qu’aurait-il fait s’il eût vu le reste ? Il était l’ami intime du comte Desèze, du digne fils de l’un des défenseurs du roi. Qui sait où l’auraient pu mener quelques mots trop vite sortis du cœur, lorsque l’honnêteté passait pour imprudence ? Son heureuse destinée lui ôta ce péril, et ne voulut pas qu’il entendît les dernières paroles de ce martyr qui disait en partant : « Je recommande mes enfants à ma femme ; je recommande à Dieu ma femme et mes enfants. »

Appelé, en 1792, par la première réquisition, M. Dupaty entra dans la flotte qui était en rade de Brest. C’était le but de ses plus chers désirs, et il se fit remarquer tout d’abord par son esprit et par son adresse. Je ne sais laquelle de ces deux facultés il préférait à l’autre en ce temps-là ; elles plaisaient en lui toutes deux. Aussi prompt à faire un couplet qu’à monter aux hunes d’un navire, espiègle ou intrépide, selon l’occasion, avec autant de gaieté que d’audace, qui n’eût aimé ce jeune