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moment, ce n’est pas la crainte, messieurs, c’est le respect. Comment pourrai-je, en effet, moi qui ai à peine entrevu M. Dupaty, vous entretenir dignement de cette vie si bien remplie, dont le souvenir vous est présent, de ces qualités brillantes que vous avez aimées, de ces vertus qui vivent dans votre estime ?

Comment vous en parler, messieurs, quand votre mémoire est encore toute pleine des simples et touchantes paroles prononcées au bord d’une tombe par l’un des maîtres de l’éloquence française, admirable et pieux tribut que le talent payait à l’amitié ?

Il faut pourtant, messieurs, vous obéir ; et veuillez me permettre ici un souvenir qui m’est personnel. Lorsque j’exprime le regret d’avoir trop peu connu M. Dupaty, je ne puis me défendre d’une réflexion pénible. Mon aïeul maternel, M. Guyot-Desherbiers, avait l’honneur d’être au nombre des amis de M. le président Dupaty ; mon père connaissait celui que vous regrettez ; à quoi tient-il que je ne l’aie connu aussi (j’entends d’une façon régulière et suivie) ? À la différence d’âge sans doute, à la mort de mon père, qui fut prématurée ; mais n’est-ce pas aussi un peu à l’étrangeté du temps où nous sommes ? Si nous eussions vécu depuis soixante ans dans des circonstances ordinaires, sous quelqu’un de ces grands règnes dont hier encore on trouvait plaisant de médire, aurions-nous vu les rapports sociaux se rompre, quelquefois si vite qu’on ne saurait dire pourquoi ? Assurément ces secousses ter-