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Ainsi, plein d’une joie farouche, je me mis en quête d’un cabaret. Comme il était minuit passé, presque tous se trouvaient fermés ; cela me mettait en fureur. — Eh quoi ! pensais-je, cette consolation même me sera refusée ? Je courais de tous côtés, frappant aux boutiques et criant : Du vin ! du vin !

Enfin je trouvai un cabaret ouvert ; je demandai une bouteille, et, sans regarder si elle était bonne ou mauvaise, je l’avalai coup sur coup ; une seconde suivit, puis une troisième. Je me traitais comme un malade et je buvais par force, comme s’il se fût agi d’un remède ordonné par un médecin, sous peine de la vie.

Bientôt les vapeurs de la liqueur épaisse, qui sans doute était frelatée, m’environnèrent d’un nuage. Comme j’avais bu précipitamment, l’ivresse me prit tout à coup ; je sentis mes idées se troubler, puis se calmer, puis se troubler encore. Enfin la réflexion m’abandonnant, je levai les yeux au ciel, comme pour me dire adieu à moi-même, et m’étendis les coudes sur la table.

Alors seulement je m’aperçus que je n’étais pas seul dans la salle. À l’autre extrémité du cabaret était un groupe d’hommes hideux, avec des figures hâves et des voix rauques. Leur costume annonçait qu’ils n’étaient pas du peuple, sans être des bourgeois ; en un mot, ils appartenaient à cette classe ambiguë, la plus vile de toutes, qui n’a ni état, ni fortune, ni même une industrie, sinon une industrie ignoble, qui n’est ni le