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votre dernier pétale à celui qui vous effeuillera ? Un peu, un peu, et pas du tout. Voilà la morale du monde, voilà la fin de vos sourires. C’est sur ce triste abîme du néant de nos rêves que vous promenez si légèrement toutes ces gazes parsemées de fleurs ; c’est sur cette vérité hideuse que vous courez comme des biches, sur la pointe de vos petits pieds !

— Eh, mon Dieu ! disait Desgenais, pourquoi tout prendre au sérieux ? C’est ce qui ne s’est jamais vu. Vous plaignez-vous que les bouteilles se vident ? Il y a des tonneaux dans les caves, et des caves sur les coteaux. Faites-moi un bon hameçon, doré de douces paroles, avec une mouche à miel pour appât ; et alerte ! pêchez-moi dans le fleuve d’oubli une jolie consolatrice, fraîche et glissante comme une anguille ; il nous en restera encore, quand elle vous aura passé entre les doigts. Aimez, aimez ; vous en mourez d’envie. Il faut que jeunesse se passe, et si j’étais de vous, j’enlèverais plutôt la reine de Portugal que de faire de l’anatomie.

Tels étaient les conseils qu’il me fallait entendre à tout propos ; et quand l’heure arrivait, je prenais le chemin du logis, le cœur gonflé, le manteau sur le visage ; je m’agenouillais sur le bord de mon lit, et le pauvre cœur se soulageait. Quelles larmes ! quels vœux ! quelles prières ! Galilée frappait la terre en s’écriant : « Elle se meut, pourtant ! » Ainsi je me frappais le cœur.