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Posséder une femme, pour moi, c’était aimer ; or, je ne songeais qu’aux femmes, et je ne croyais plus à la possibilité d’un véritable amour.

Toutes ces souffrances m’inspiraient comme une sorte de rage ; tantôt j’avais envie de faire comme les moines, et de me meurtrir pour vaincre mes sens ; tantôt j’avais envie d’aller dans la rue, dans la campagne, je ne sais où, de me jeter aux pieds de la première femme que je rencontrerais, et de lui jurer un amour éternel.

Dieu m’est témoin que je fis alors tout au monde pour me distraire et pour me guérir. D’abord, toujours préoccupé de cette idée involontaire, que la société des hommes était un repaire de vices et d’hypocrisie, où tout ressemblait à ma maîtresse, je résolus de m’en séparer et de m’isoler tout à fait. Je repris d’anciennes études ; je me jetai dans l’histoire, dans les poètes antiques, dans l’anatomie. Il y avait dans la maison, au quatrième étage, un vieil Allemand fort instruit, qui vivait seul et retiré. Je lui persuadai, non sans peine, de m’apprendre sa langue ; une fois à la besogne, ce pauvre homme la prit à cœur. Mes perpétuelles distractions le désolaient. Que de fois, assis en tête à tête avec moi, sous sa lampe enfumée, il est resté avec un étonnement patient, me regardant les mains croisées sur son livre, tandis que, perdu dans mes rêves, je ne m’apercevais ni de sa présence ni de sa pitié ! — Mon bon monsieur, lui dis-je enfin, voilà qui est inutile ;