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CHAPITRE VI


Je fus le lendemain au bois de Boulogne, avant dîner ; le temps était sombre. Arrivé à la porte Maillot, je laissai mon cheval aller où bon lui sembla, et, m’abandonnant à une rêverie profonde, je repassai peu à peu dans ma tête tout ce que m’avait dit Desgenais.

[L’amour que j’avais pour ma maîtresse, m’ayant, presque au sortir du collège, absorbé tout entier, avait été pour moi une sauvegarde contre la corruption prématurée à laquelle la jeunesse s’abandonne souvent dans la première joie de la liberté ; car, le plus grand défaut des écoles étant de défendre sans cesse ce que la nature ordonne, il est tout simple que les écoliers commencent, en entrant dans le monde, par se livrer à tout ce qu’on leur défendait, outre mesure et sans discernement.

Si l’on m’avait proposé de devenir un libertin tant que ma maîtresse m’était fidèle, les séductions les plus fortes et les raisonnements les plus pervers auraient été sans effet sur moi. Une courtisane me paraissait un être difforme. Tout d’un coup ma maîtresse, que j’adorais