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vous regretterez une nuit pareille, car c’est moi qui vous dis que vous n’en aurez guère.

Il y avait dans tout ce que disait Desgenais un air de conviction si simple et si profond, une si désespérante tranquillité d’expérience, que je frissonnais en l’écoutant. Pendant qu’il parlait, j’éprouvai une tentation violente d’aller encore chez ma maîtresse, ou de lui écrire pour la faire venir. J’étais incapable de me lever ; cela me sauva de la honte de m’exposer de nouveau à la trouver ou attendant mon rival, ou enfermée avec lui. Mais j’avais toujours la facilité de lui écrire ; je me demandais malgré moi, dans le cas où je lui écrirais, si elle viendrait.

Lorsque Desgenais fut parti, je sentis une agitation si affreuse, que je résolus d’y mettre un terme, de quelque manière que ce fût. Après une lutte terrible, l’horreur surmonta enfin l’amour. J’écrivis à ma maîtresse que je ne la reverrais jamais, et que je la priais de ne plus revenir, si elle ne voulait s’exposer à être refusée à ma porte. Je sonnai violemment, et ordonnai qu’on portât ma lettre le plus vite possible. À peine mon domestique eût-il fermé la porte, que je le rappelai. Il ne m’entendit pas ; je n’osai le rappeler une seconde fois ; et, mettant mes deux mains sur mon visage, je demeurai enseveli dans le plus profond désespoir.