Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/383

Cette page a été validée par deux contributeurs.

laissait couler sur ses joues et souriait sans les essuyer. La femme était pâle et pensive ; elle ne regardait que son ami. Il y avait dans ses traits comme une souffrance profonde qui, sans faire d’efforts pour se cacher, n’osait cependant résister à la gaieté qu’elle voyait. Quand son compagnon souriait, elle souriait aussi, mais non pas toute seule ; quand il parlait, elle lui répondait, et elle mangeait ce qu’il lui servait ; mais il y avait en elle un silence qui ne semblait vivre que par instants. À sa langueur et à sa nonchalance, on distinguait clairement cette mollesse de l’âme, ce sommeil du plus faible entre deux êtres qui s’aiment, et dont l’un n’existe que dans l’autre et ne s’anime que par écho. Le jeune homme ne s’y trompait pas et en semblait fier et reconnaissant ; mais on voyait, à sa fierté même, que son bonheur lui était nouveau. Lorsque la femme s’attristait tout à coup et baissait les yeux vers la terre, il s’efforçait de prendre, pour la rassurer, un air ouvert et résolu ; mais il n’y pouvait pas toujours réussir et se troublait lui-même quelquefois. Ce mélange de force et de faiblesse, de joie et de chagrin, de trouble et de sérénité, eût été impossible à comprendre pour un spectateur indifférent ; on eût pu les croire tour à tour les deux êtres les plus heureux de la terre et les plus malheureux ; mais, en ignorant leur secret, on eût senti qu’ils souffraient ensemble, et, quelle que fût leur peine mystérieuse, on voyait qu’ils avaient posé sur leur chagrin un sceau plus puissant que l’amour lui-même, l’amitié. Tandis qu’ils