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que cet homme sans pitié qui blasphémait avec ma bouche et torturait avec mes mains ? Était-ce lui que ma mère appelait Octave ? était-ce lui qu’autrefois, à quinze ans, parmi les bois et les prairies, j’avais vu dans les claires fontaines où je me penchais avec un cœur pur comme le cristal de leurs eaux ?

Je fermais les yeux, et je pensais aux jours de mon enfance. Comme un rayon de soleil qui traverse un nuage, mille souvenirs me traversaient le cœur. — Non, me disais-je, je n’ai pas fait cela. Tout ce qui m’entoure dans cette chambre n’est qu’un rêve impossible. Je me rappelais le temps où j’ignorais, où je sentais mon cœur s’ouvrir à mes premiers pas dans la vie. Je me souvenais d’un vieux mendiant qui s’asseyait sur un banc de pierre devant la porte d’une ferme, et à qui on m’envoyait quelquefois porter, le matin, après déjeuner, les restes de notre repas. Je le voyais, tendant ses mains ridées, faible, courbé, me bénir en souriant. Je sentais le vent du matin glisser sur mes tempes, je ne sais quoi de frais comme la rosée qui tombait du ciel dans mon âme. Puis, tout à coup, je rouvrais les yeux, et je retrouvais, à la lueur de la lampe, la réalité devant moi.

— Et tu ne te crois pas coupable ? me demandai-je avec horreur. Ô apprenti corrompu d’hier ! parce que tu pleures, tu te crois innocent ? Ce que tu prends pour le témoignage de ta conscience, ce n’est peut-être que du remords ? et quel meurtrier n’en éprouve pas ? Si