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puissance irrésistible m’entraînait à descendre en moi.

Faire le mal ! tel était donc le rôle que la Providence m’avait imposé ! Moi, faire le mal ! moi à qui ma conscience, au milieu de mes fureurs mêmes, disait pourtant que j’étais bon ! moi qu’une destinée impitoyable entraînait sans cesse plus avant dans un abîme, et à qui, en même temps, une horreur secrète montrait sans cesse la profondeur de cet abîme où je tombais ! moi qui, partout, malgré tout, eussé-je commis un crime et versé le sang de ces mains que voilà, me serais encore répété que mon cœur n’était pas coupable, que je me trompais, que ce n’était pas moi qui agissais ainsi, mais mon destin, mon mauvais génie, je ne sais quel être qui habitait le mien, mais qui n’y était pas né ! moi, faire le mal ! Depuis six mois, j’avais accompli cette tâche ; pas une journée ne s’était passée que je n’eusse travaillé à cette œuvre impie, et j’en avais, en ce moment même, la preuve devant les yeux. L’homme qui avait aimé Brigitte, qui l’avait offensée, puis insultée, puis délaissée, quittée pour la reprendre, remplie de craintes, assiégée de soupçons, jetée enfin sur ce lit de douleur où je la voyais étendue, c’était moi ! Je me frappais le cœur, et, en la voyant, je n’y pouvais croire. Je contemplais Brigitte ; je la touchais comme pour m’assurer que je n’étais pas trompé par un songe. Mon propre visage, que j’apercevais dans la glace, me regardait avec étonnement. Qu’était-ce donc que cette créature qui m’apparaissait sous mes traits ? qu’était-ce donc