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les épiez comme des témoins d’un crime. Folle ! j’ai voulu traverser les mers, m’exiler de France avec vous, aller mourir, loin de tout ce qui m’a aimée, sur ce cœur qui doute de moi. Folle ! j’ai cru que la vérité avait un regard, un accent, qu’on la devinait, qu’on la respectait ! Ah ! quand j’y pense, les larmes me suffoquent. Pourquoi, s’il en devait être ainsi, m’avoir entraînée à une démarche qui troublera à jamais mon repos ? Ma tête se perd ; je ne sais où j’en suis.

Elle se pencha en pleurant sur moi. — Folle ! folle ! répétait-elle avec une voix déchirante.

Et qu’est-ce donc ? continua-t-elle, jusques à quand persévérerez-vous ? Que puis-je faire à ces soupçons sans cesse renaissants, sans cesse altérés ? Il faut, dites-vous, que je me justifie ! de quoi ? de partir, d’aimer, de mourir, de désespérer ? Et si j’affecte une gaieté forcée, cette gaieté même vous offense. Je vous sacrifie tout pour partir, et vous n’aurez pas fait une lieue que vous regarderez en arrière. Partout, toujours, quoi que je fasse, l’injure, la colère. Ah ! cher enfant, si vous saviez quel froid mortel, quelle souffrance de voir ainsi la plus simple parole du cœur accueillie par le doute et le sarcasme ! Vous vous priverez par là du seul bonheur qu’il y ait au monde : aimer avec abandon. Vous tuerez dans le cœur de ceux qui vous aiment tout sentiment délicat et élevé ; vous en viendrez à ne plus croire qu’à ce qu’il y a de plus grossier ; il ne vous restera de l’amour que ce qui est visible et se touche du doigt. Vous êtes jeune,