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mois ; je les entr’ouvrais doucement, j’examinais les hardes, les livres, rangés en ordre par ces petites mains soigneuses et délicates ; j’écoutais passer les voitures ; leur bruit me faisait palpiter le cœur. J’étalais sur la table notre carte d’Europe, témoin naguère de si doux projets ; et là, en présence même de toutes mes espérances, dans cette chambre où je les avais conçues et vues si près de se réaliser, je me livrais à cœur ouvert aux plus affreux pressentiments.

Comment cela était-il possible ? je ne sentais ni colère ni jalousie, et cependant une douleur sans bornes. Je ne soupçonnais pas, et pourtant je doutais. L’esprit de l’homme est si bizarre qu’il sait se forger, avec ce qu’il voit et malgré ce qu’il voit, cent sujets de souffrance. En vérité, sa cervelle ressemble à ces cachots de l’Inquisition où les murailles sont couvertes de tant d’instruments de supplice qu’on n’en comprend ni le but ni la forme, et qu’on se demande, en les voyant, si ce sont des tenailles ou des jouets. Dites-moi, je vous le demande, quelle différence il y a de dire à sa maîtresse : Toutes les femmes trompent, ou de lui dire : Vous me trompez ?

Ce qui se passait dans ma tête était pourtant peut-être aussi subtil, aussi ténu que le plus fin sophisme ; c’était une sorte de dialogue entre l’esprit et la conscience. — Si je perdais Brigitte ? disait l’esprit. — Elle part avec toi, disait la conscience. — Si elle me trompait ? — Comment te tromperait-elle, elle qui avait fait