Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.

partons, me voilà. Je me mis à rire et sortis sans répondre. Au bout de quelques pas, je m’assis sur une borne. Je ne sais à quoi je pensais ; j’étais comme abruti et devenu idiot par l’infidélité de cette femme dont je n’avais jamais été jaloux, et sur laquelle je n’avais jamais conçu un soupçon. Ce que je venais de voir ne me laissant aucun doute, je demeurais comme étourdi d’un coup de massue, et ne me rappelle rien de ce qui s’opéra en moi durant le temps que je restai sur cette borne, sinon que, regardant machinalement le ciel et voyant une étoile filer, je saluai cette apparence fugitive, où les poètes voient un monde détruit, et lui ôtai gravement mon chapeau.

Je rentrai chez moi fort tranquillement, n’éprouvant rien, ne sentant rien, et comme privé de réflexion. Je commençai à me déshabiller, et me mis au lit ; mais à peine eus-je posé la tête sur le chevet, que les esprits de la vengeance me saisirent avec une telle force, que je me redressai tout à coup contre la muraille, comme si tous les muscles de mon corps fussent devenus de bois. Je descendis de mon lit en criant, les bras étendus, ne pouvant marcher que sur les talons, tant les nerfs de mes orteils étaient crispés. Je passai ainsi près d’une heure, complètement fou et roide comme un squelette. Ce fut le premier accès de colère que j’éprouvai.

L’homme que j’avais surpris auprès de ma maîtresse était un de mes amis les plus intimes. J’allai chez lui