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CHAPITRE III


J’ai à raconter à quelle occasion je fus pris d’abord de la maladie du siècle.

J’étais à table, à un grand souper, après une mascarade. Autour de moi mes amis richement costumés, de tous côtés des jeunes gens et des femmes, tous étincelants de beauté et de joie ; à droite et à gauche des mets exquis, des flacons, des lustres, des fleurs ; au-dessus de ma tête un orchestre bruyant, et en face de moi ma maîtresse, créature superbe que j’idolâtrais.

J’avais alors dix-neuf ans ; je n’avais éprouvé aucun malheur ni aucune maladie ; j’étais d’un caractère à la fois hautain et ouvert, avec toutes les espérances et un cœur débordant. Les vapeurs du vin fermentaient dans mes veines ; c’était un de ces moments d’ivresse où tout ce qu’on voit, tout ce qu’on entend vous parle de la bien-aimée. La nature entière paraît alors comme une pierre précieuse à mille facettes, sur laquelle est gravé le nom mystérieux. On embrasserait volontiers tous ceux qu’on voit sourire, et on se sent le frère de tout ce qui existe. Ma maîtresse m’avait donné rendez-vous