Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/275

Cette page a été validée par deux contributeurs.

se repentît de s’être montrée sensible aux discours des médisants. Quoi qu’il en soit, au lieu de veiller sur nous et de nous défendre de la curiosité, nous prîmes, au contraire, un genre de vie plus libre et plus insouciant que jamais.

J’allais chez elle à l’heure du déjeuner ; n’ayant rien à faire dans la journée, je ne sortais qu’avec elle. Elle me retenait à dîner, la soirée s’ensuivait par conséquent ; bientôt, lorsque l’heure de rentrer arrivait, nous imaginâmes mille prétextes, nous prîmes mille précautions illusoires qui, au fond, n’en étaient point. Enfin je vivais, pour ainsi dire, chez elle, et nous faisions semblant de croire que personne ne s’en apercevait.

Je tins parole quelque temps, et pas un nuage ne troubla notre tête-à-tête. Ce furent d’heureux jours ; ce n’est pas de ceux-là qu’il faut parler.

On disait partout dans le pays que Brigitte vivait publiquement avec un libertin arrivé de Paris ; que son amant la maltraitait, que leur temps se passait à se quitter et à se reprendre, mais que tout cela finirait mal. Autant on avait donné de louanges à Brigitte pour sa conduite passée, autant on la blâmait maintenant. Il n’était rien dans cette conduite même, autrefois digne de tous les éloges, qu’on n’allât rechercher pour y trouver une mauvaise interprétation. Ses courses solitaires dans les montagnes, dont la charité était le but et qui n’avaient jamais fait naître un soupçon, devinrent tout à coup le sujet des quolibets et des railleries. On parlait