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Nous nous quittâmes avec colère, et je passai un jour sans la voir. Le lendemain soir, vers minuit, je me sentis une telle tristesse que je ne pus y résister. Je versai un torrent de larmes ; je m’accablai moi-même d’injures que je méritais bien. Je me dis que je n’étais qu’un fou, et qu’une méchante espèce de fou, de faire souffrir la plus noble, la meilleure des créatures. Je courus chez elle pour me jeter à ses pieds.

En entrant dans le jardin, je vis sa chambre éclairée, et une pensée douteuse me traversa l’esprit. — Elle ne m’attend pas à cette heure, me dis-je ; qui sait ce qu’elle fait ? Je l’ai laissée en larmes hier ; je vais peut-être la retrouver en train de chanter, et ne se souciant pas plus de moi que si je n’existais pas. Elle est peut-être à sa toilette, comme l’autre. Il faut que j’entre doucement et que je sache à quoi m’en tenir.

Je m’avançai sur la pointe du pied, et, la porte se trouvant par hasard entr’ouverte, je pus voir Brigitte sans en être vu.

Elle était assise devant sa table, et écrivait dans ce même livre qui avait causé mes premiers doutes sur son compte. Elle tenait dans sa main gauche une petite boîte de bois blanc qu’elle regardait de temps en temps avec une sorte de tremblement nerveux. Je ne sais ce qu’il y avait de sinistre dans l’apparence de tranquillité qui régnait dans la chambre. Son secrétaire était ouvert, et plusieurs liasses de papier y étaient rangées, comme venant d’y être mises en ordre.