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C’était un dimanche : quand nous passâmes sur la promenade, Brigitte fit arrêter la voiture pour dire bonsoir à quelques bonnes amies, fraîches et braves filles de campagne qui s’en allaient danser aux Tilleuls. Après qu’elle les eut quittées, elle eut longtemps la tête à la portière ; son petit bal lui était cher ; elle porta son mouchoir à ses yeux.

Nous trouvâmes à la préfecture madame Daniel dans toute sa joie. Je commençai à la faire danser assez souvent pour qu’on le remarquât ; je lui fis mille compliments, et elle y répondit de son mieux.

Brigitte était en face de nous ; son regard ne nous quittait pas. Ce que j’éprouvais est difficile à dire ; c’était du plaisir et de la peine. Je la voyais clairement jalouse ; mais, au lieu d’en être touché, je fis tout ce qu’il fallait pour l’inquiéter davantage.

Je m’attendais, en revenant, à des reproches de sa part ; non seulement elle ne m’en fit pas, mais elle resta sombre et muette le lendemain et le jour suivant. Quand j’arrivais chez elle, elle venait à moi et m’embrassait ; après quoi, nous nous asseyions l’un en face de l’autre, préoccupés tous deux et échangeant à peine quelques paroles insignifiantes. Le troisième jour, elle parla, éclata en reproches amers, me dit que ma conduite était inexplicable, qu’elle ne savait qu’en penser, sinon que je ne l’aimais plus, mais qu’elle ne pouvait supporter cette vie, et qu’elle était résolue à tout plutôt que de souffrir mes bizarreries et mes froideurs. Elle avait les