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les autres, ou ce que je pensais moi-même. Alors, étendu sur un canapé et comme incapable de mouvement, je faisais manquer de propos délibéré toutes les parties de promenade que nous avions concertées la veille ; j’imaginais de rechercher dans ma mémoire ce que, durant mes bons moments, j’avais pu dire de mieux senti et de plus sincèrement tendre à ma chère maîtresse, et je n’étais satisfait que lorsque mes plaisanteries ironiques avaient gâté et empoisonné ces souvenirs des jours heureux. — Ne pourriez-vous me laisser cela ? me demandait tristement Brigitte. S’il y a en vous deux hommes si différents, ne pourriez-vous, quand le mauvais se lève, vous contenter d’oublier le bon ?

La patience que Brigitte opposait à ces égarements ne faisait cependant qu’exciter ma gaieté sinistre. Étrange chose, que l’homme qui souffre veuille faire souffrir ce qu’il aime ! Qu’on ait si peu d’empire sur soi, n’est-ce pas la pire des maladies ? Qu’y a-t-il de plus cruel pour une femme que de voir un homme qui sort de ses bras tourner en dérision, par une bizarrerie sans excuse, ce que les nuits heureuses ont de plus sacré et de plus mystérieux ? Elle ne me fuyait pourtant pas ; elle restait auprès de moi, courbée sur sa tapisserie, tandis que, dans mon humeur féroce, j’insultais ainsi à l’amour, et laissais grommeler ma démence sur une bouche humide de ses baisers.

Ces jours-là, contre l’ordinaire, je me sentais en train