Page:Musset - Œuvres complètes d’Alfred de Musset. Confession d’un enfant du siècle.djvu/24

Cette page a été validée par deux contributeurs.

forme, mais une forme hideuse, commença d’arroser d’un sang fétide tous les monstres de la nature.

Qui osera jamais raconter ce qui se passait alors dans les collèges ? Les hommes doutaient de tout : les jeunes gens nièrent tout. Les poètes chantaient le désespoir : les jeunes gens sortirent des écoles avec le front serein, le visage frais et vermeil, et le blasphème à la bouche. D’ailleurs le caractère français, qui de sa nature est gai et ouvert, prédominant toujours, les cerveaux se remplirent aisément des idées anglaises et allemandes, mais les cœurs, trop légers pour lutter et pour souffrir, se flétrirent comme des fleurs fanées. Ainsi le principe de mort descendit froidement et sans secousse de la tête aux entrailles. Au lieu d’avoir l’enthousiasme du mal, nous n’eûmes que l’abnégation du bien ; au lieu du désespoir, l’insensibilité. Des enfants de quinze ans, assis nonchalamment sous des arbrisseaux en fleur, tenaient par passe-temps des propos qui auraient fait frémir d’horreur les bosquets immobiles de Versailles. La communion du Christ, l’hostie, ce symbole éternel de l’amour céleste, servait à cacheter des lettres ; les enfants crachaient le pain de Dieu.

Heureux ceux qui échappèrent à ces temps ! heureux ceux qui passèrent sur les abîmes en regardant le ciel ! Il y en eut sans doute, et ceux-là nous plaindront.

Il est malheureusement vrai qu’il y a dans le blasphème une grande déperdition de force qui soulage le cœur trop plein. Lorsqu’un athée, tirant sa montre,