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vite encore ? Assurément, quoi qu’il en soit, je suis tombé les yeux fermés dans une affaire de galanterie que j’ai prise pour un roman ; mais que faire à présent ? Je ne vois personne ici que ce prêtre, qui ne veut pas parler clairement, ou son oncle, qui en dira moins encore. Ô mon Dieu ! qui me sauvera ? comment savoir la vérité ?

Ainsi parlait la jalousie ; ainsi, oubliant tant de larmes et tout ce que j’avais souffert, j’en venais, au bout de deux jours, à m’inquiéter de ce que Brigitte m’avait cédé. Ainsi, comme tous ceux qui doutent, je mettais déjà de côté les sentiments et les pensées pour disputer avec les faits, m’attacher à la lettre morte et disséquer ce que j’aimais.

Tout en m’enfonçant dans mes réflexions, je gagnais à pas lents la maison de Brigitte. Je trouvai la grille ouverte, et, comme je traversais la cour, je vis de la lumière dans la cuisine. Je pensai à questionner la servante. Je tournai donc de ce côté, et, maniant dans ma poche quelques pièces d’argent, je m’avançai vers le seuil.

Une impression d’horreur m’arrêta court. Cette servante était une vieille femme maigre et ridée, le dos toujours courbé comme les gens attachés à la glèbe. Je la trouvai remuant sa vaisselle sur un évier malpropre. Une chandelle dégoûtante tremblotait dans sa main ; autour d’elle des casseroles, des plats, des restes du dîner que visitait un chien errant, entré comme moi