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Du fond de son cabinet d’étude, entouré de tableaux et de statues, riche, heureux et tranquille, il regardait venir à nous son œuvre de ténèbres avec un sourire paternel. Byron lui répondit par un cri de douleur qui fit tressaillir la Grèce, et suspendit Manfred sur les abîmes, comme si le néant eût été le mot de l’énigme hideuse dont il s’enveloppait.

Pardonnez-moi, ô grands poètes ! qui êtes maintenant un peu de cendre et qui reposez sous la terre ; pardonnez-moi ! vous êtes des demi-dieux, et je ne suis qu’un enfant qui souffre. Mais, en écrivant tout ceci, je ne puis m’empêcher de vous maudire. Que ne chantiez-vous le parfum des fleurs, les voix de la nature, l’espérance et l’amour, la vigne et le soleil, l’azur et la beauté ? Sans doute vous connaissiez la vie et sans doute vous aviez souffert ; et le monde croulait autour de vous, et vous pleuriez sur ses ruines, et vous désespériez ; et vos maîtresses vous avaient trahis, et vos amis calomniés, et vos compatriotes méconnus ; et vous aviez le vide dans le cœur, la mort devant les yeux, et vous étiez des colosses de douleur. Mais dites-moi, vous, noble Gœthe, n’y avait-il plus de voix consolatrice dans le murmure religieux de vos vieilles forêts d’Allemagne ? Vous pour qui la belle poésie était la sœur de la science, ne pouvaient-elles à elles deux trouver dans l’immortelle nature une plante salutaire pour le cœur de leur favori ? Vous qui étiez un panthéiste, un poète antique de la Grèce, un amant des formes sacrées, ne