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CHAPITRE V


J’allai la voir le lendemain. Je la trouvai à son piano, la vieille tante brodant à la fenêtre, sa petite chambre remplie de fleurs, le plus beau soleil du monde dans ses jalousies, et une grande volière d’oiseaux à côté d’elle.

Je m’attendais à voir en elle presque une religieuse, du moins une de ces femmes de province qui ne savent rien de ce qui se passe à deux lieues à la ronde, et qui vivent dans un certain cercle dont elles ne s’écartent jamais. J’avoue que ces existences à part, qui sont comme enfouies çà et là dans les villes, sous des milliers de toits ignorés, m’ont toujours effrayé comme des espèces de citernes dormantes ; l’air ne m’y semble pas viable ; dans tout ce qui est oubli sur la terre, il y a un peu de la mort.

Madame Pierson avait sur sa table les feuilles et les livres nouveaux ; il est bien vrai qu’elle n’y touchait guère. Malgré la simplicité de ce qui l’entourait, de ses meubles, de ses habits, on y reconnaissait la mode, c’est-à-dire la nouveauté, la vie ; elle n’y tenait ni ne s’en mêlait, mais tout cela allait sans dire. Ce qui me frappa dans ses goûts, c’est que rien n’y était bizarre,