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que je les déployais. Le journal de sa vie reparut devant moi ; je pouvais compter, jour par jour, les battements de ce noble cœur. Je commençai à m’ensevelir dans un rêve doux et profond, et, malgré le caractère sérieux et ferme qui dominait partout, je découvrais une grâce ineffable, la fleur paisible de sa bonté. Pendant que je lisais, l’idée de sa mort se mêlait sans cesse au récit de sa vie ; je ne puis dire avec quelle tristesse je suivais ce ruisseau limpide que j’avais vu tomber dans l’Océan.

— Ô homme juste ! m’écriai-je, homme sans peur et sans reproche ! quelle candeur dans ton expérience ! Ton dévouement pour tes amis, ta tendresse divine pour ma mère, ton admiration pour la nature, ton amour sublime pour Dieu, voilà ta vie ; il n’y a pas eu place dans ton cœur pour autre chose. La neige intacte au sommet des montagnes n’est pas plus vierge que ta sainte vieillesse ; tes cheveux blancs lui ressemblaient. Ô père ! ô père ! donne-les-moi ; ils sont plus jeunes que ma tête blonde. Laisse-moi vivre et mourir comme toi ! je veux planter sur la terre où tu dors le rameau vert de ma vie nouvelle ; je l’arroserai de mes larmes, et le Dieu des orphelins laissera pousser cette herbe pieuse sur la douleur d’un enfant et sur le souvenir d’un vieillard.

Après avoir lu ces papiers chéris, je les classai en ordre. Je pris alors la résolution d’écrire aussi mon journal ; j’en fis relier un tout semblable à celui de