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vous n’y pouvez rien, ni moi non plus ? Est-ce le fond de mon cœur que vous me demandez, ou est-ce seulement la première parole venue, et une excuse ?

— Soyez franc, me dit-il.

— Eh bien ! répliquai-je, eh bien ! Desgenais, vous m’avez donné des conseils en temps et lieu, et je vous prie de m’écouter comme je vous ai écouté alors. Vous me demandez ce que j’ai dans le cœur ; je vais vous le dire.

Prenez le premier homme venu, et dites-lui : Voilà des gens qui passent leur vie à boire, à monter à cheval, à rire, à jouer, à user de tous les plaisirs ; aucune entrave ne les retient, ils ont pour loi ce qui leur plaît ; des femmes tant qu’ils en veulent : ils sont riches. D’autre souci, pas un ; tous les jours sont fêtes pour eux. Qu’en pensez-vous ? À moins que cet homme ne soit un dévot sévère, il vous répondra que c’est de la faiblesse humaine, s’il ne vous répond pas simplement que c’est le plus grand bonheur qui puisse s’imaginer.

Conduisez donc cet homme à l’action ; mettez-le à table, une femme à ses côtés, un verre à la main, une poignée d’or tous les matins, et puis dites-lui : Voilà ta vie. Pendant que tu t’endormiras près de ta maîtresse, tes chevaux piafferont dans l’écurie ; pendant que tu feras caracoler ton cheval sur le sable des promenades, le vin mûrira dans tes caves ; pendant que tu passeras la nuit à boire, tes banquiers augmenteront ta richesse. Tu n’as qu’à souhaiter, et tes désirs sont des réalités.